Dans un coin reculé du Venezuela, où la poussière s’élève en tourbillons et où le grondement des motos déchire l’air, l’or brille comme une promesse. À El Dorado, un village niché dans l’Arc Minier de l’Orénoque, l’or n’est pas seulement une richesse : c’est une monnaie, un rêve, mais aussi une malédiction. Dans ce lieu où chaque gramme scintillant peut valoir jusqu’à 100 dollars, la vie oscille entre espoir de fortune et dangers omniprésents. Comment ce métal précieux façonne-t-il le quotidien des habitants, et à quel prix ?
El Dorado : Le Mythe Doré au Cœur du Venezuela
Le nom d’El Dorado résonne comme une légende, celle d’une cité perdue regorgeant de trésors. Pourtant, ce village, créé à l’origine comme un fort militaire en 1895 pour contrer une menace anglaise, est bien réel. Situé sur les rives de la rivière Cuyuni, près de la frontière disputée avec le Guyana, El Dorado vit au rythme de l’or. Les habitants racontent que, par temps de pluie, des particules dorées affleurent sur les chemins boueux, comme un rappel constant de la richesse enfouie sous leurs pieds.
Aujourd’hui, ce village d’environ 5 000 âmes est un microcosme de l’Arc Minier de l’Orénoque, une région de 112 000 km² riche en or, diamants, fer, bauxite, quartz et même coltan. Mais cette abondance attire autant les rêveurs que les criminels, transformant El Dorado en un lieu où la fortune côtoie la violence.
L’Or, Monnaie du Quotidien
Dans les rues poussiéreuses d’El Dorado, l’or remplace souvent les billets. Un commerçant pèse sur une balance numérique une pincée d’or en poudre, équivalent à 3 000 dollars pour 35 grammes. Une bonbonne d’eau ? Trois millièmes de gramme, soit environ un dollar et demi. Cette économie dorée, unique en son genre, fait de l’or une monnaie d’échange pour les achats quotidiens.
“L’or est une bénédiction qui nous permet d’acheter ce que l’on veut, mais il faut travailler dur”, confie José Tobias Tranquini, un mineur de 48 ans.
Pourtant, la réalité est plus rude. José, comme beaucoup, travaille sans relâche dans les mines, espérant un jour tomber sur le filon qui changera sa vie. “Un jour à la mine peut ne rien rapporter. Il y a des chanceux qui trouvent jusqu’à un kilo, mais je n’ai pas eu cette chance”, ajoute-t-il, le regard fixé sur un horizon incertain.
Une Richesse Sous Haute Tension
L’exploitation minière dans l’Arc Minier est largement illégale. Les gangs criminels et les guérillas règnent en maîtres, imposant un “vaccin”, une taxe de protection qui garantit une sécurité précaire. Entre 2016 et 2020, environ 217 personnes ont perdu la vie dans des massacres liés à ces conflits pour le contrôle des mines. À El Dorado, ce sujet reste tabou, étouffé par le bruit incessant des motos et la poussière omniprésente.
Les “syndicats” criminels ou gangs indigènes contrôlent des sites miniers, extorquant les mineurs ou exploitant directement les filons. Cette criminalité organisée rend la vie à El Dorado aussi dangereuse qu’attrayante. Les habitants, pris entre la quête de richesse et la peur, continuent pourtant de creuser, animés par l’espoir d’une vie meilleure.
Un Écosystème Fragile Ravagé
L’exploitation minière illégale ne se contente pas de semer la violence : elle détruit aussi l’environnement. Les écologistes dénoncent un écocide dans l’Arc Minier, où les mines illégales provoquent l’effondrement des sols et la contamination des rivières. Le mercure, utilisé pour séparer l’or du sable, pollue les cours d’eau, menaçant la faune et les communautés locales.
Les mines fonctionnent avec des “moulins”, des installations rudimentaires où le sable est broyé et lavé. Une famille de cinq personnes peut passer quatre heures à traiter une tonne de sable pour obtenir à peine un gramme d’or, soit environ 100 dollars. Ce labeur, souvent effectué dans des conditions dangereuses, expose les travailleurs aux fumées toxiques du mercure.
“Le danger, c’est la fumée”, explique un propriétaire de moulin, cigarette à la main, inconscient de l’ironie.
La Vie à El Dorado : Entre Rêve et Réalité
Hilda Carrero, 73 ans, est arrivée à El Dorado il y a un demi-siècle, attirée par la fièvre de l’or. À l’époque, le village n’était que “jungle et serpents”. Aujourd’hui, elle tient une petite épicerie où elle vend des bonbonnes d’eau contre quelques poussières d’or. “La vie du village, ce sont les mineurs”, explique-t-elle, soulignant les hauts et les bas de cette économie fluctuante.
Les “bullitas”, ces petites ruées vers de nouvelles mines, rythment la vie d’El Dorado. Mais pour beaucoup, comme Hilda, les périodes de disette succèdent aux moments d’abondance. “Il y a des jours où je ne vends même pas une bouteille”, confie-t-elle, un sourire résigné sur le visage.
La dure réalité des mineurs
- Travail éreintant : Des heures à creuser pour un gramme d’or, parfois rien.
- Dangers constants : Effondrements de mines et fumées toxiques.
- Extorsion : Les gangs prélèvent un “vaccin” pour garantir une protection illusoire.
- Rêve inaccessible : La majorité des mineurs ne trouve jamais le filon espéré.
Un Conflit Territorial aux Enjeux Géopolitiques
El Dorado n’est pas seulement un village minier : il est aussi un point stratégique près de la frontière avec le Guyana. La rivière Cuyuni marque la limite avec l’Essequibo, un territoire revendiqué par le Venezuela depuis plus d’un siècle. Ce différend géopolitique ajoute une couche de tension à une région déjà instable, où les richesses minières attisent les convoitises.
Le fort militaire originel d’El Dorado, construit pour protéger le territoire vénézuélien, rappelle cette histoire conflictuelle. Aujourd’hui, les enjeux sont autant économiques que politiques, avec des ressources qui pourraient redessiner les rapports de force dans la région.
L’Or : Une Malédiction Déguisée ?
Si l’or représente une opportunité pour les habitants d’El Dorado, il est aussi une source de malheur. La violence, l’exploitation et la destruction environnementale sont le prix à payer pour cette richesse. Pourtant, l’espoir persiste. Chaque jour, des mineurs comme José descendent dans les fosses, rêvant de la pépite qui changera leur vie.
Pour Hilda et les autres habitants, El Dorado reste un lieu de contrastes, où la poussière dorée scintille sous le soleil, mais où l’ombre des gangs et des désastres écologiques plane. La fièvre de l’or, loin de s’éteindre, continue de brûler, alimentée par des rêves qui se heurtent à une réalité brutale.
Aspect | Impact à El Dorado |
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Économie | L’or sert de monnaie, mais les gains sont aléatoires. |
Sécurité | Présence de gangs et massacres fréquents. |
Environnement | Contamination par le mercure et écocide. |
Géopolitique | Conflit territorial avec le Guyana pour l’Essequibo. |
El Dorado, avec ses promesses dorées et ses dangers, incarne la dualité de l’or : un trésor qui fascine autant qu’il détruit. Dans ce village, la fièvre de l’or continue de battre, portée par des générations de mineurs qui, malgré tout, refusent d’abandonner leurs rêves.