Dans les rues glaciales de La Paz, une mère célibataire s’éloigne d’un supermarché, les mains vides, le visage marqué par la fatigue. Comme des milliers de Boliviens, elle lutte chaque jour pour trouver des produits de première nécessité dans un pays asphyxié par une crise économique sans précédent. Les étagères des magasins d’État, censés proposer des denrées à prix contrôlés, se vident à une vitesse alarmante, tandis que l’inflation galopante et les blocages routiers aggravent une situation déjà critique. Comment la Bolivie, jadis riche en ressources naturelles, en est-elle arrivée là ?
Une Crise Économique aux Multiples Visages
La Bolivie traverse une tempête économique qui touche chaque strate de sa société. La pénurie de dollars, combinée à des dépenses publiques excessives, a mis à mal l’économie du pays andin. Depuis l’année dernière, les citoyens ressentent les effets de cette crise dans leur quotidien : des produits de base comme le riz, le sucre ou les œufs deviennent des denrées rares, et les files d’attente s’allongent devant les rares points de vente encore approvisionnés.
Les causes de cette situation sont multiples. La chute des exportations de gaz, qui représentaient une part importante des revenus du pays, a drastiquement réduit les entrées de devises. Sans dollars, le gouvernement peine à importer des produits essentiels, notamment le carburant, qu’il revend à prix subventionné. Résultat : les stations-service, elles aussi, affichent des files interminables, tandis que les prix des produits importés flambent sur le marché parallèle.
« En termes de pouvoir d’achat, les salaires se détériorent très fortement avec l’inflation », explique un économiste bolivien.
Pénuries : Un Quotidien de Privation
Dans les supermarchés d’État de la capitale administrative, les scènes de frustration se multiplient. Les clients, souvent des mères de famille ou des retraités, repartent bredouilles après des heures d’attente. Une femme de 40 ans, emmitouflée contre le froid, confie sa lassitude : elle doit jongler entre son travail et ces interminables queues pour tenter de nourrir ses six enfants. Mais les rayons, autrefois garnis, sont aujourd’hui désespérément vides.
Les produits de première nécessité, comme le riz ou le sucre, sont devenus des denrées de luxe. Même le poulet, aliment de base pour beaucoup, a vu son prix doubler en quelques mois, passant de l’équivalent de 2,6 dollars à près de 5 dollars le kilogramme. Pour beaucoup, comme une vendeuse ambulante de 69 ans, acheter de la viande est désormais hors de portée. Elle se rabat sur des plats à base d’œufs, quand ceux-ci sont disponibles.
Dans un quartier commerçant de La Paz, un camion décharge des poulets sous les regards impatients d’une foule formant une longue file. Cette scène, autrefois banale, est aujourd’hui un symbole de la rareté.
Blocages Routiers : Une Crise Aggravée
La situation, déjà tendue, s’est encore détériorée avec les récents blocages routiers orchestrés par les partisans de l’ancien président Evo Morales. Ces manifestations, qui exigent la démission du président actuel Luis Arce, paralysent la circulation des marchandises à travers le pays. Les routes bloquées empêchent l’approvisionnement des villes, aggravant les pénuries alimentaires et de carburant. Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont déjà fait plusieurs victimes, dont des policiers, selon un récent bilan officiel.
Ces blocages ne sont pas seulement un problème logistique : ils reflètent un profond mécontentement social. Les partisans de Morales accusent Arce d’être responsable de la crise économique et d’avoir écarté leur leader de l’élection présidentielle prévue pour août prochain. Ce climat de tension politique ajoute une couche supplémentaire à une crise déjà complexe.
Un Système de Santé sous Pression
Les conséquences de la crise ne se limitent pas aux supermarchés ou aux stations-service. Les hôpitaux boliviens, eux aussi, sont touchés de plein fouet. Les médicaments importés, essentiels pour de nombreux patients, se font rares. Une jeune femme de 27 ans raconte que sa mère, diabétique, a dû être transférée dans un hôpital de La Paz, à une centaine de kilomètres de leur province, faute de médicaments disponibles localement. Mais même dans la capitale, les établissements peinent à maintenir leurs stocks.
« Il n’y a même pas une seringue », déplore une habitante devant une pharmacie de La Paz.
Cette pénurie de matériel médical met en lumière les failles d’un système dépendant des importations. Avec la hausse du dollar sur le marché parallèle, le coût des médicaments importés a explosé, rendant leur accès encore plus difficile pour les populations vulnérables.
Un Pays au Bord du Précipice
Pour beaucoup de Boliviens, la situation actuelle est inédite. Une retraitée de 65 ans, vivant avec ses enfants et petits-enfants, confie son désarroi face à la nécessité de faire la queue pour des produits aussi basiques que le papier hygiénique. « Nous sommes au bord du précipice », résume-t-elle, exprimant un sentiment partagé par une population épuisée par les privations.
Les conséquences économiques sont particulièrement visibles dans la perte de pouvoir d’achat. Les salaires, déjà modestes, ne suivent pas l’inflation, qui rogne chaque jour un peu plus le budget des ménages. Les produits importés, dont les prix sont indexés sur le dollar, deviennent inabordables pour une large partie de la population.
Produit | Prix avant (USD) | Prix actuel (USD) |
---|---|---|
Poulet (kg) | 2,6 | 5,0 |
Riz | Abordable | Rare |
Médicaments importés | Variable | Inabordable |
Vers un Tournant Politique ?
La crise actuelle pourrait avoir des répercussions majeures sur l’avenir politique de la Bolivie. Alors que l’élection présidentielle d’août 2025 approche, le mécontentement social grandissant pourrait fragiliser la gauche, au pouvoir depuis près de vingt ans. Les analystes estiment que les difficultés économiques, combinées aux tensions politiques, pourraient pousser les électeurs à réclamer un changement.
Les blocages routiers et les manifestations, bien que motivés par des revendications politiques, sont aussi l’expression d’une frustration plus large face à la détérioration des conditions de vie. La population, confrontée à des pénuries et à une inflation galopante, semble à bout de patience.
« Il y a de plus en plus de consensus pour un changement », affirme un économiste bolivien.
Quelles Perspectives pour la Bolivie ?
La crise bolivienne est un cocktail explosif de facteurs économiques, sociaux et politiques. La dépendance aux importations, la chute des exportations de gaz et les tensions internes menacent la stabilité du pays. Pour sortir de l’impasse, des réformes structurelles seraient nécessaires, mais celles-ci semblent difficiles à mettre en œuvre dans un climat aussi tendu.
En attendant, les Boliviens continuent de faire face à un quotidien marqué par la rareté et l’incertitude. Les files d’attente, qu’il s’agisse de nourriture, de carburant ou de médicaments, sont devenues le symbole d’un pays au bord de l’asphyxie. La question qui se pose désormais est de savoir si la Bolivie parviendra à surmonter cette crise avant qu’elle ne s’aggrave davantage.
Alors que les rayons se vident et que les tensions montent, la Bolivie se trouve à un tournant. La réponse à cette crise déterminera l’avenir du pays.
Pour les habitants comme Sonia, la lutte quotidienne pour survivre dans un pays en crise est devenue une réalité oppressante. Alors que les mois défilent et que l’élection présidentielle approche, une question demeure : la Bolivie pourra-t-elle retrouver un semblant de stabilité, ou sombrera-t-elle encore plus profondément dans le chaos ?