C’est une page sombre de l’histoire de l’art qui s’apprête à être tournée. Le prestigieux Kunsthaus de Zurich a annoncé la mise en vente d’un tableau de Claude Monet, L’Homme à l’ombrelle, issu de sa collection. Cette décision fait suite à un accord trouvé avec les héritiers de Carl Sachs, un entrepreneur juif qui avait dû céder l’œuvre sous la contrainte lorsqu’il s’était réfugié en Suisse en 1939 pour échapper aux persécutions nazies.
Un collectionneur spolié par les nazis
Carl Sachs était un entrepreneur textile prospère installé en Pologne avant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque la menace nazie s’est précisée, il a fui vers la Suisse avec son épouse Margarete, laissant derrière lui tous ses biens. Pour pouvoir entrer sur le territoire helvétique, le couple a dû mettre en gage les œuvres d’art qu’il possédait et qui étaient entreposées au Kunsthaus.
Jusqu’à sa mort en décembre 1943, Carl Sachs a été contraint de vendre pas moins de 13 œuvres pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa femme. L’Homme à l’ombrelle de Monet, cédé précipitamment au Kunsthaus, a été la première œuvre dont il a dû se séparer, plongeant le couple dans une situation financière des plus précaires.
Une « solution juste et équitable »
Près de 80 ans après ces événements tragiques, les héritiers de la famille Sachs et le Kunsthaus sont parvenus à un accord concernant ce tableau impressionniste. La vente de l’œuvre permettra d’indemniser les descendants du collectionneur spolié, une issue saluée par leur conseil, Me Imke Gielen :
Les héritiers de la famille Sachs saluent la volonté de la Zurcher Kunstgesellschaft (ndlr : la fondation qui chapeaute le Kunsthaus) de trouver une solution juste et équitable pour cette œuvre, que Carl Sachs avait été contraint de céder après avoir émigré en Suisse.
Me Imke Gielen, avocate des héritiers Sachs
Du côté du musée, on ne cache pas une certaine tristesse de devoir se séparer de ce chef-d’œuvre réalisé par Monet entre 1865 et 1867. « Bien entendu, nous nous attendons à voir ce magnifique tableau quitter le Kunsthaus après sa vente, dans le cadre de la solution juste et équitable trouvée, et nous le regrettons beaucoup », a ainsi déclaré Philippe Hildebrand, le président de la Zurcher Kunstgesellschaft.
Un examen approfondi des collections
Le Kunsthaus, comme de nombreux autres musées à travers le monde, a entrepris de passer ses riches collections au crible afin de déterminer si certaines pièces s’y trouvent en raison, directement ou indirectement, des persécutions antisémites menées par le régime nazi. Un travail de fourmi indispensable pour rétablir la vérité sur la provenance des œuvres et, le cas échéant, les restituer à leurs légitimes propriétaires ou leurs héritiers.
Cette démarche, encouragée par le Conseil international des musées (ICOM), s’inscrit dans un vaste mouvement mondial visant à réparer les spoliations subies par de nombreux collectionneurs juifs avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Si le chemin est encore long, chaque restitution représente une victoire pour la mémoire des victimes et une avancée dans la reconnaissance des crimes commis.
L’art, témoin de l’Histoire
Au-delà de sa valeur artistique inestimable, L’Homme à l’ombrelle de Claude Monet incarne à lui seul un pan tragique de notre histoire. Son périple rocambolesque, de la collection de Carl Sachs jusqu’aux cimaises du Kunsthaus de Zurich en passant par une vente forcée, témoigne des souffrances endurées par d’innombrables familles juives face à la barbarie nazie.
Cette œuvre, comme tant d’autres, porte en elle les stigmates d’une époque sombre où l’art fut instrumentalisé, spolié, bafoué. Aujourd’hui, grâce au travail de mémoire entrepris par les musées et à la ténacité des héritiers des collectionneurs spoliés, une forme de justice semble enfin possible. Et chaque tableau restitué est une manière de rendre hommage à ceux qui ont tout perdu, jusqu’à leur dignité, dans la tourmente de la Shoah.
La mise en vente de L’Homme à l’ombrelle marque ainsi une étape importante dans le long processus de réparation des crimes nazis. Une étape douloureuse mais nécessaire pour honorer la mémoire de Carl Sachs et de tous les amateurs d’art juifs persécutés, tout en rappelant aux générations futures les horreurs perpétrées au nom d’une idéologie mortifère. Car si l’histoire de ce tableau impressionniste est unique, elle est aussi universelle, reflet d’une tragédie humaine qui ne doit jamais être oubliée.