Imaginez un homme capable de capturer l’âme d’une époque, de traduire en mots l’énergie brute des années 60 et 70, et de donner une voix aux plus grandes stars de la chanson française. Cet homme, c’est Philippe Labro, un touche-à-tout de génie dont la plume a façonné des tubes inoubliables pour des icônes comme Johnny Hallyday, Sylvie Vartan ou encore Jane Birkin. Journaliste, écrivain, cinéaste, mais surtout parolier d’exception, Labro a marqué la culture française par sa capacité à saisir l’esprit du yéyé et à le transformer en poésie chantée. Comment un homme aussi polyvalent a-t-il su devenir le complice des géants de la musique ? Plongeons dans son histoire, celle d’un passeur de mots au service des légendes.
Un Parolier dans l’Ombre des Géants
Dans les années 60, la France vibre au rythme du yéyé, ce mouvement musical inspiré par le rock’n’roll américain et la pop britannique. C’est dans ce contexte bouillonnant que Philippe Labro, alors jeune journaliste passionné par la culture d’outre-Atlantique, se lance dans l’écriture de chansons. Son parcours commence presque par hasard, mais son talent pour les mots et sa sensibilité aux courants de l’époque le propulsent rapidement au cœur de la scène musicale. Il ne se contente pas d’écrire : il raconte des histoires, capte des émotions et donne vie à des personnages à travers ses textes.
Sa première collaboration notable se fait avec Eddy Mitchell, figure emblématique du rock français. Sous le pseudonyme de Philippe Christian, Labro signe ses premiers textes dès 1967. Cette discrétion initiale reflète sa modestie, mais aussi son envie de se faire un nom dans un domaine où il n’est pas encore attendu. Avec Eddy, il explore des sonorités inspirées du rock américain, un style qui séduit les jeunes Français en quête de liberté et de modernité.
Johnny Hallyday : Une Collaboration Explosive
Si Labro a marqué l’histoire de la chanson française, c’est surtout grâce à sa collaboration avec Johnny Hallyday, le roi incontesté du rock hexagonal. Leur rencontre, au début des années 70, est celle de deux âmes fascinées par l’Amérique, ses mythes et sa musique. Ensemble, ils créent des chansons qui deviendront des classiques, à commencer par Jésus Christ, un titre audacieux sorti en 1970. Dans cette chanson, Labro imagine Jésus de Nazareth comme un hippie, un rebelle des temps modernes participant au festival de Woodstock et défiant les conventions. Le refrain, « Jésus Christ est un hippie », fait scandale, au point d’être interdit d’antenne et de provoquer l’ire du Vatican.
« Jésus Christ est un hippie, il aurait aimé les filles aux seins nus, fumé de la marie-jeanne et participé à Woodstock. »
Paroles de Jésus Christ, Philippe Labro
Ce texte, provocateur et visionnaire, illustre le génie de Labro pour capter l’esprit d’une époque. Malgré les menaces d’excommunication, une radio, fidèle à l’esprit rebelle de la chanson, la diffuse à outrance, renforçant son statut de morceau culte. Cette collaboration ne s’arrête pas là : Labro signe la moitié des textes de l’album Vie (1970), dont Poème sur la 7e, inspiré de Beethoven, et d’autres titres originaux qui mêlent rock et poésie.
L’année suivante, Labro devient le premier parolier à écrire un album entier pour Johnny, Flagrant Délit (1971). Parmi les pépites de cet album, on retrouve Oh ! Ma jolie Sarah, La Fille aux cheveux clairs et Fils de personne, une adaptation française du titre Fortunate Son de Creedence Clearwater Revival. Ces chansons, portées par la voix puissante de Johnny, traduisent une énergie brute et une nostalgie teintée d’américanophilie. Labro et Hallyday ne sont pas seulement des collaborateurs : une amitié profonde naît entre eux, malgré leurs différences. Comme Labro le confiera plus tard :
« Johnny était mon contraire, et c’est ce qui rendait notre collaboration si riche. Les contraires s’attirent et s’enrichissent. »
Philippe Labro, interview radiophonique, 2020
Sylvie Vartan et l’Olympia 1970
En parallèle de son travail avec Johnny, Labro prête sa plume à une autre icône du yéyé : Sylvie Vartan. En 1970, il écrit pour elle La Nuit, une chanson interprétée en live lors d’un concert mémorable à l’Olympia. Ce titre, empreint de douceur et de mélancolie, contraste avec l’énergie brute des textes pour Johnny, montrant la polyvalence de Labro. Sa capacité à adapter son écriture au style et à la personnalité de chaque artiste fait de lui un parolier recherché, capable de passer du rock provocateur à la pop élégante.
Le lien entre Labro, Johnny et Sylvie est d’autant plus fort que les deux chanteurs formaient alors un couple iconique. Labro, en écrivant pour les deux, devient un témoin privilégié de leur histoire, capturant leurs émotions dans des textes qui résonnent encore aujourd’hui. La Nuit, par exemple, reste un moment fort des performances live de Sylvie, un titre où la fragilité et la force de l’artiste se mêlent avec une rare intensité.
L’Empreinte de Gainsbourg et Jane Birkin
En 1975, Philippe Labro reçoit un coup de fil inattendu. Serge Gainsbourg, l’un des paroliers les plus brillants de son époque, lui propose d’écrire la majorité des textes de l’album Lolita Go Home pour Jane Birkin. Gainsbourg, alors occupé par le tournage de son film Je t’aime moi non plus, fait confiance à Labro pour donner vie à cet album. Ce choix n’est pas anodin : si un artiste aussi exigeant que Gainsbourg délègue une telle tâche, c’est que Labro jouit d’une réputation irréprochable dans le milieu.
Labro signe des titres comme Lolita Go Home, Bébé Song et French Graffiti. Ces chansons, bien que moins connues que les grands classiques de Birkin écrits par Gainsbourg, reflètent une tentative audacieuse de marier la voix fragile de l’artiste britannique à des textes poétiques et modernes. Malheureusement, l’album ne rencontre pas le succès escompté. Certains critiques estiment que Jane Birkin, muse indissociable de Gainsbourg, brille davantage avec les mots de ce dernier. Pourtant, le travail de Labro sur cet album reste une preuve de son talent et de sa capacité à s’adapter à des univers artistiques variés.
Les temps forts de la collaboration Labro-Birkin
- Lolita Go Home : un titre pop et enjoué, reflet des années 70.
- Bébé Song : une ballade douce-amère, pleine de nostalgie.
- French Graffiti : une ode à la jeunesse et à la liberté.
Un Homme aux Multiples Visages
Si Philippe Labro excelle en tant que parolier, il est bien plus qu’un simple auteur de chansons. Journaliste, écrivain, cinéaste, il a toujours navigué entre les disciplines avec une aisance déconcertante. Cette polyvalence lui permet d’apporter une profondeur unique à ses textes, mêlant références littéraires, influences américaines et une fine compréhension des émotions humaines. Son amour pour les États-Unis, partagé avec Johnny Hallyday, se retrouve dans ses chansons, où l’on sent l’écho des grands espaces, du rock’n’roll et des idéaux de liberté.
Son travail de parolier n’est qu’une facette de sa carrière, mais elle révèle son talent pour saisir l’essence d’une époque. Les années yéyé, avec leur mélange de rébellion et de légèreté, trouvent en Labro un chroniqueur inspiré. Ses textes, qu’ils soient provocateurs comme Jésus Christ ou introspectifs comme La Nuit, capturent l’esprit d’une jeunesse en quête de sens et d’identité.
Un Héritage Durable
L’héritage de Philippe Labro dans la chanson française est immense, même s’il reste parfois dans l’ombre des artistes qu’il a servis. Ses collaborations avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Eddy Mitchell et Jane Birkin ont marqué plusieurs générations. Ses textes, souvent audacieux, ont su capturer l’esprit d’une époque tout en restant intemporels. Qui n’a jamais fredonné Oh ! Ma jolie Sarah ou ressenti l’énergie contestataire de Jésus Christ ?
Labro a également su tisser des liens personnels avec les artistes qu’il accompagnait. Son amitié avec Johnny Hallyday, par exemple, transcende le cadre professionnel. Cette relation, fondée sur une admiration mutuelle et une passion commune pour la culture américaine, donne à leurs collaborations une authenticité rare.
| Artiste | Chanson emblématique | Année |
|---|---|---|
| Johnny Hallyday | Jésus Christ | 1970 |
| Sylvie Vartan | La Nuit | 1970 |
| Jane Birkin | Lolita Go Home | 1975 |
Pourquoi Labro Reste-t-il Pertinent ?
La force de Philippe Labro réside dans sa capacité à transcender les genres et les époques. Ses textes, bien qu’ancrés dans les années 60 et 70, parlent encore aujourd’hui à ceux qui écoutent les chansons de Johnny, Sylvie ou Jane. Ils évoquent une époque révolue, mais aussi des thèmes universels : la quête de liberté, l’amour, la rébellion. En mêlant poésie et provocation, Labro a su créer des chansons qui ne se contentent pas de divertir, mais qui interrogent et émeuvent.
Son parcours, marqué par une curiosité insatiable et une passion pour les mots, en fait une figure unique de la culture française. Il n’était pas seulement un parolier : il était un témoin de son temps, un passeur d’histoires qui a su donner une voix à une génération. Aujourd’hui, son œuvre continue d’inspirer, rappelant que la musique, lorsqu’elle est portée par des mots justes, peut changer des vies.
« Les mots de Labro ne se contentent pas de chanter, ils racontent une époque, une révolte, une liberté. »
En revisitant l’œuvre de Philippe Labro, on redécouvre non seulement un parolier d’exception, mais aussi un homme qui a su capter l’essence d’une époque et la transmettre à travers des chansons devenues immortelles. Son héritage, porté par les voix de Johnny, Sylvie, Eddy et Jane, reste une page essentielle de l’histoire de la chanson française.
