Le 25 mai 2020, une vidéo bouleversante secouait le monde : George Floyd, un Afro-Américain, mourait sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis. Ce drame, filmé par des passants, a déclenché une onde de choc mondiale, ravivant les débats sur les violences policières et les discriminations raciales. Cinq ans plus tard, où en est le mouvement Black Lives Matter qui avait alors mobilisé des millions de personnes ?
Un Mouvement qui a Changé l’Histoire
La mort de George Floyd n’était pas un incident isolé, mais elle est devenue un symbole. Les images de son agonie, où il répétait « I can’t breathe », ont galvanisé une mobilisation sans précédent. Aux États-Unis, des manifestations ont rassemblé des foules dans des dizaines de villes, de New York à Los Angeles, réclamant justice et des réformes contre les violences policières. À l’international, des solidarités se sont exprimées, de Paris à Tokyo, montrant l’universalité du combat contre l’injustice raciale.
Le mouvement Black Lives Matter, né en 2013 après l’acquittement du meurtrier de Trayvon Martin, a trouvé dans cet événement une nouvelle ampleur. Les slogans scandés dans les rues ont poussé des entreprises, des institutions et même des gouvernements à s’engager pour plus d’égalité. Mais cinq ans après, l’élan semble s’essouffler. Pourquoi ?
Un Reflux Progressif du Mouvement
À Minneapolis, où tout a commencé, les commémorations du cinquième anniversaire de la mort de George Floyd ont attiré une foule bien plus modeste qu’en 2020. Les images de ces rassemblements, souvent organisés par des activistes locaux et des anonymes, contrastent avec l’ampleur des manifestations d’alors. Ce recul s’explique par plusieurs facteurs, à commencer par une fatigue militante et un sentiment de désillusion.
Pour beaucoup, les promesses de réformes n’ont pas tenu. Malgré des avancées, comme l’interdiction de certaines techniques d’arrestation brutales dans plusieurs États, les violences policières restent un problème criant. Selon une étude récente, plus de 1 100 personnes ont été tuées par la police aux États-Unis en 2024, un chiffre qui reste stable depuis 2020. Les Afro-Américains continuent d’être disproportionnellement touchés, représentant environ 25 % des victimes alors qu’ils ne constituent que 13 % de la population.
Année | Nombre de décès causés par la police | Proportion d’Afro-Américains |
---|---|---|
2020 | 1 127 | 24 % |
2024 | 1 134 | 25 % |
Ces chiffres, bien que choquants, ne racontent qu’une partie de l’histoire. Le sentiment que les réformes promises n’ont pas transformé le système judiciaire ou policier alimente un désenchantement. « Nous avons crié, marché, pleuré, mais les choses changent trop lentement », confiait récemment une activiste de Minneapolis lors d’une interview.
« Nous avons crié, marché, pleuré, mais les choses changent trop lentement. »
Une activiste de Minneapolis, 2025
Un Contexte Politique en Mutation
Le retour de Donald Trump à la présidence en 2025 a marqué un tournant. Lors des événements de 2020, l’ancien président avait publiquement condamné la brutalité policière dans l’affaire Floyd, bien que son discours restait ambigu. Aujourd’hui, son administration adopte une ligne plus dure, prônant une société dite « colorblind », où les distinctions raciales seraient ignorées au profit d’une égalité formelle. Cette approche, critiquée par beaucoup, vise à démanteler des politiques favorisant l’intégration des minorités.
Certains membres de l’aile la plus radicale du mouvement Maga vont même jusqu’à demander une grâce pour Derek Chauvin, le policier condamné pour le meurtre de George Floyd. Cette proposition, bien que controversée, illustre un changement d’époque. Là où 2020 était marqué par une indignation collective, 2025 voit une polarisation accrue, où les questions raciales sont instrumentalisées à des fins politiques.
Les Défis de la Mobilisation à Long Terme
Maintenir l’élan d’un mouvement social sur plusieurs années est une tâche ardue. Black Lives Matter a réussi à imposer des débats essentiels dans l’espace public, mais il fait face à des défis structurels. Parmi eux :
- Fragmentation interne : Les divergences sur les stratégies et les priorités ont affaibli l’unité du mouvement.
- Fatigue militante : Les années de mobilisation intense ont épuisé de nombreux activistes, qui peinent à maintenir la pression.
- Opposition politique : Une partie de l’opinion publique perçoit le mouvement comme trop radical, ce qui limite son audience.
En outre, le mouvement a été critiqué pour son incapacité à traduire ses revendications en réformes concrètes. Si des villes comme Minneapolis ont adopté des mesures pour limiter l’usage de la force par la police, ces changements restent locaux et inégaux. À l’échelle nationale, les appels à une refonte du système judiciaire peinent à aboutir face à des résistances institutionnelles.
Un Héritage Toujours Vivant ?
Malgré ce reflux, il serait erroné de considérer que Black Lives Matter a disparu. Le mouvement a profondément marqué la société américaine, en obligeant les institutions à se confronter à la question des inégalités raciales. Des entreprises ont adopté des politiques de diversité, des universités ont révisé leurs programmes pour inclure l’histoire des minorités, et des discussions sur le racisme systémique sont devenues plus courantes.
Cependant, cet héritage est aujourd’hui menacé. Les politiques actuelles, qui mettent l’accent sur une approche uniformisante, risquent de marginaliser les revendications spécifiques des minorités. Par exemple, la suppression de programmes d’action positive dans certaines universités américaines illustre cette tendance. « C’est comme si on nous demandait d’oublier l’histoire pour avancer, mais sans justice, il n’y a pas d’avenir », déplore un sociologue spécialiste des questions raciales.
« Sans justice, il n’y a pas d’avenir. »
Un sociologue américain, 2025
Vers une Nouvelle Dynamique ?
Face à ce constat, de nouvelles voix émergent. Des organisations locales, moins médiatisées mais tout aussi actives, continuent de militer pour des réformes structurelles. Elles se concentrent sur des enjeux concrets : formation des policiers, transparence dans les enquêtes sur les violences, ou encore redistribution des budgets pour renforcer les services sociaux plutôt que les forces de l’ordre.
En parallèle, les jeunes générations, marquées par les événements de 2020, s’impliquent différemment. Les réseaux sociaux, qui ont joué un rôle clé dans la mobilisation initiale, restent un espace de débat et de sensibilisation. Des hashtags comme #JusticeForGeorge continuent d’apparaître, bien que leur portée soit moindre. « Les jeunes ne lâchent pas, ils s’adaptent », note une militante basée à Los Angeles.
Un Débat Mondial
Si le mouvement Black Lives Matter est né aux États-Unis, son impact a dépassé les frontières. En Europe, en Afrique ou en Asie, des manifestations de solidarité ont vu le jour en 2020, rappelant que les questions de justice raciale résonnent partout. En France, par exemple, l’affaire Adama Traoré a ravivé des débats similaires, soulignant les tensions entre forces de l’ordre et minorités.
Ces mouvements internationaux, bien que moins visibles aujourd’hui, continuent d’inspirer des luttes locales. Ils rappellent que la quête d’égalité et de justice transcende les contextes nationaux, tout en s’adaptant aux réalités locales. Mais comme aux États-Unis, la lassitude et les résistances politiques freinent souvent les progrès.
Que Faire Maintenant ?
Pour beaucoup, la question n’est plus de savoir si Black Lives Matter a changé le monde, mais comment maintenir cet élan face à des vents contraires. Les défis sont nombreux : polarisation politique, désintérêt médiatique, et complexité des réformes nécessaires. Pourtant, des solutions existent :
- Renforcer la formation des forces de l’ordre : Une meilleure formation sur la gestion des conflits et les biais inconscients pourrait réduire les incidents violents.
- Investir dans les communautés : Réorienter les budgets vers l’éducation et les services sociaux plutôt que la militarisation de la police.
- Maintenir la pression publique : Les manifestations et les campagnes en ligne restent essentielles pour rappeler l’urgence des enjeux.
En fin de compte, l’héritage de George Floyd et de Black Lives Matter dépendra de la capacité des sociétés à transformer l’indignation en actions concrètes. Cinq ans après, le combat continue, mais sous des formes nouvelles, moins visibles mais tout aussi déterminées.
Le reflux du mouvement ne signe pas sa fin, mais une mutation. À Minneapolis, comme ailleurs, des bougies continuent de brûler en mémoire de George Floyd, symboles d’une lutte qui, malgré les obstacles, refuse de s’éteindre.