Imaginez un jeune homme acclamé par une foule en liesse, porté au pouvoir par l’élan populaire, mais dont le règne bascule rapidement dans la terreur et l’extravagance. Caligula, empereur romain de l’an 37 à 41 après J.-C., incarne ce paradoxe fascinant. Sa devise, Oderint dum metuant, traduit par « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent », résume un règne marqué par la cruauté, l’excès et une soif insatiable de contrôle. Mais comment une simple phrase, tirée d’une tragédie antique, a-t-elle défini l’un des empereurs les plus controversés de l’histoire ? Plongeons dans cette période tumultueuse de l’Empire romain pour comprendre l’homme derrière la légende.
Un Empereur Prometteur au Destin Tragique
À son arrivée au pouvoir, Caligula, de son vrai nom Gaius Julius Caesar Augustus Germanicus, est accueilli comme un sauveur. À seulement 25 ans, il succède à son grand-oncle Tibère, un empereur vieillissant et impopulaire. Les Romains, lassés des intrigues politiques et des purges, voient en lui un vent de renouveau. Ses premières décisions renforcent cet espoir : il abolit le crime de lèse-majesté, libère des prisonniers politiques et autorise la circulation d’ouvrages interdits. Mais derrière cette façade libérale se profile une personnalité complexe, façonnée par une enfance marquée par les luttes de pouvoir.
Caligula grandit dans l’ombre de la cour impériale, où la méfiance et la trahison sont monnaie courante. Fils du général Germanicus, il est adoré par l’armée, mais son accession au trône ne se fait pas sans heurts. Tibère, selon certaines sources, aurait prédit sa chute, le décrivant comme une « hydre » pour Rome. Cette prophétie, rapportée par l’historien Suétone, annonce un règne où la promesse initiale cède vite la place à la tyrannie.
La Devise : Une Phrase Empruntée à la Tragédie
La célèbre devise de Caligula, Oderint dum metuant, n’est pas une création originale. Elle est tirée de la tragédie Atrée, écrite par le poète romain Lucius Accius. Dans cette œuvre, Atrée, figure de vengeance, fait bouillir les enfants de son frère Thyeste pour se venger d’un adultère. La phrase, dans son contexte originel, incarne une logique de pouvoir brutale : régner par la peur plutôt que par l’amour. En l’adoptant, Caligula transforme cette idée théâtrale en un véritable manifeste politique.
« Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent. »
Caligula, inspiré de Lucius Accius
En reprenant cette formule, Caligula détourne une phrase attribuée à Tibère, « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils m’approuvent ». Ce changement subtil révèle une vision du pouvoir bien plus autoritaire. Là où Tibère cherchait encore une forme d’approbation, Caligula mise tout sur la crainte, une stratégie qui marque son règne.
Un Règne sous le Signe de l’Excès
Le règne de Caligula est rapidement devenu synonyme de démesure. Les récits, souvent exagérés par des historiens comme Suétone, dépeignent un empereur obsédé par son propre pouvoir. Parmi les anecdotes les plus célèbres, on raconte qu’il aurait envisagé de nommer son cheval Incitatus consul, une provocation visant à humilier le Sénat. Si cette histoire est peut-être une caricature, elle illustre l’antagonisme entre Caligula et les élites romaines.
Ses extravagances financières sont tout aussi légendaires. Caligula aurait dilapidé les caisses de l’État en banquets somptueux, en construisant des palais et en offrant des cadeaux extravagants, comme une écurie de marbre pour son cheval. Pour renflouer les finances, il augmente les impôts, s’attirant le mécontentement du peuple. Une phrase qu’il aurait prononcée résume son rapport à la richesse :
« Il faut être économe, ou vivre en César. »
Caligula, selon Suétone
Cette maxime illustre son goût pour le luxe et son mépris pour les contraintes financières. Pourtant, ces excès ne sont qu’une facette d’un règne marqué par une violence croissante.
La Terreur comme Outil de Pouvoir
Caligula ne se contente pas de régner par la peur : il semble prendre un plaisir morbide à l’inspirer. Les récits rapportent qu’il assistait à des exécutions pendant ses banquets, observant avec détachement les décapitations ordonnées par ses soins. Son obsession pour le contrôle s’étend à tous les aspects de sa vie, y compris son apparence. Il aurait passé des heures devant un miroir, perfectionnant des expressions destinées à terrifier ses interlocuteurs.
Son comportement imprévisible rendait son entourage constamment sur le qui-vive. Même le Sénat, institution puissante de l’Empire, vivait dans la crainte de ses caprices. Cette terreur, entretenue par des purges et des exécutions, a fini par aliéner ceux qui l’avaient initialement soutenu.
Les chiffres d’un règne controversé :
- Durée du règne : 4 ans (37-41 après J.-C.)
- Âge à la mort : 29 ans
- Principale devise : Oderint dum metuant
- Historien clé : Suétone, auteur de la Vie des douze Césars
Un Portrait Exagéré ?
Les récits sur Caligula, principalement tirés des écrits de Suétone et Tacite, doivent être pris avec prudence. Ces historiens, écrivant des décennies après sa mort, étaient souvent influencés par les agendas politiques de leur époque. Suétone, par exemple, avait tendance à exagérer les vices des empereurs pour divertir son public. Ainsi, certaines anecdotes, comme celle du cheval consul, pourraient être des inventions destinées à noircir la réputation de Caligula.
Cela dit, même en tenant compte des possibles exagérations, le règne de Caligula reste marqué par une rupture avec les normes de gouvernance romaine. Sa volonté de centraliser le pouvoir et son mépris pour les institutions traditionnelles ont contribué à son image d’empereur tyrannique.
La Chute d’un Tyran
Le règne de Caligula s’achève brutalement en l’an 41, lorsqu’il est assassiné par des membres de sa propre garde prétorienne, dirigés par Cassius Chaerea et Cornelius Sabinus. À seulement 29 ans, l’empereur est poignardé, mettant fin à quatre années de terreur. Cet assassinat, loin d’être un simple coup d’État, reflète le ressentiment accumulé par le peuple, le Sénat et même ses proches.
L’héritage de Caligula est complexe. Si son règne a marqué les esprits par sa cruauté, il a aussi révélé les dangers d’un pouvoir absolu laissé sans contrôle. Sa devise, Oderint dum metuant, reste un symbole de cette époque où la peur était une arme de gouvernance.
Pourquoi Cette Devise Résonne Encore
La phrase Oderint dum metuant transcende l’histoire romaine pour devenir une réflexion intemporelle sur le pouvoir. Elle pose une question universelle : peut-on gouverner durablement par la peur ? L’histoire de Caligula suggère que non. Son règne, bien que bref, montre les limites d’un pouvoir basé sur la terreur, qui finit par se retourner contre celui qui l’exerce.
Au-delà de son contexte historique, cette devise invite à réfléchir sur les dynamiques du pouvoir dans nos sociétés modernes. Des leaders autoritaires aux régimes oppressifs, l’idée de régner par la crainte reste d’actualité, tout comme ses conséquences souvent désastreuses.
Les leçons du règne de Caligula :
- Un pouvoir basé sur la peur est fragile.
- Les excès financiers et la déconnexion des élites alimentent le mécontentement populaire.
- Les institutions, comme le Sénat, jouent un rôle clé dans l’équilibre du pouvoir.
En revisitant l’histoire de Caligula, on découvre non seulement un empereur controversé, mais aussi une réflexion profonde sur la nature du pouvoir. Sa devise, bien qu’issue d’une tragédie antique, continue de résonner comme un avertissement : gouverner par la peur, c’est semer les graines de sa propre chute.