Imaginez un écureuil doré, bondissant avec agilité sur les branches d’un arbre majestueux, défiant les hauteurs sans jamais regarder en bas. Cette image, pleine de grâce et d’audace, incarne la devise Quo non ascendet, « Jusqu’où ne montera-t-il pas ? ». Pourtant, derrière ce symbole d’ambition se cache une histoire de chute vertigineuse, celle de Nicolas Fouquet, dont l’ascension fulgurante sous le règne de Louis XIV s’est soldée par une disgrâce tragique. Plongeons dans ce récit où l’ambition démesurée rencontre le pouvoir absolu, une leçon intemporelle sur les dangers de vouloir briller trop fort.
Une Devise, un Symbole, une Malédiction
La devise Quo non ascendet n’est pas qu’une simple phrase en latin. Elle est le reflet d’une famille, les Fouquet, dont l’emblème, un écureuil, symbolise l’agilité et l’ambition. Originaire de l’Anjou, où « Fouquet » signifie « écureuil » dans le patois local, cette famille a gravi les échelons sociaux avec une rapidité saisissante. Mais cette devise, porteuse d’espoir et de promesses, s’est transformée en présage funeste pour Nicolas Fouquet, surintendant des finances sous le jeune Roi-Soleil.
Comment une formule aussi inspirante a-t-elle pu devenir synonyme de malheur ? Pour le comprendre, il faut remonter aux origines de cette famille et à l’ascension fulgurante de son membre le plus célèbre, Nicolas, dont la vie illustre à la perfection le mythe d’Icare : voler trop près du soleil peut brûler les ailes.
Les Racines d’une Ambition
À la fin du XVe siècle, les Fouquet étaient de simples drapiers. Jehan Fouquet, l’ancêtre, a bâti une fortune dans le commerce des tissus, posant les bases d’une ascension sociale impressionnante. Au fil des générations, les Fouquet se sont rapprochés du pouvoir. François III et François IV, respectivement grand-père et père de Nicolas, ont occupé des postes prestigieux au Parlement de Paris. Cette progression constante a forgé une mentalité conquérante, incarnée par la devise familiale.
Nicolas, troisième d’une fratrie de treize enfants, a grandi dans un environnement où l’ambition était une seconde nature. Alors que beaucoup de ses frères et sœurs embrassaient une carrière religieuse, lui choisit une voie laïque, celle de la magistrature. Dès 19 ans, il devient conseiller au Parlement de Metz, une première marche vers une carrière fulgurante.
« Fouquet avait beaucoup de facilité aux affaires, et encore plus de négligence. »
Abbé de Choisy
Cette citation résume bien le paradoxe de Nicolas Fouquet : un homme brillant, mais parfois trop confiant, voire imprudent. Son talent pour naviguer dans les cercles du pouvoir lui permet de devenir intendant de l’armée des Flandres, puis procureur général au Parlement de Paris. En 1653, il atteint le sommet en étant nommé surintendant des finances, un poste clé dans un royaume encore marqué par les troubles de la Fronde.
Un Écureuil au Zénith
En tant que surintendant des finances, Nicolas Fouquet devient l’un des hommes les plus puissants de France. Son rôle consiste à gérer les ressources financières du royaume, une tâche colossale dans une période de tensions économiques. Mais Fouquet ne se contente pas de gérer : il brille, il éblouit. Son château de Vaux-le-Vicomte, chef-d’œuvre architectural, devient le théâtre de fêtes somptueuses, éclipsant presque la cour royale.
Son ascension semble sans limite. Fidèle au roi pendant la Fronde, il s’est imposé comme un allié indispensable. Pourtant, son style de vie fastueux et son aisance à distribuer faveurs et cadeaux suscitent des jalousies. Jean-Baptiste Colbert, rival acharné, voit en Fouquet une menace. Il rédige un mémoire accusant le surintendant de détournements massifs, affirmant que moins de la moitié des impôts collectés parviennent au trésor royal.
L’écureuil grimpe, mais chaque branche qu’il atteint le rapproche d’une chute inévitable.
Colbert n’est pas le seul à s’inquiéter. Même Mazarin, mentor supposé de Fouquet, conseille à Louis XIV de se méfier de cet homme « sujet à ses passions, dissipateur, hautain ». Fouquet, lui, semble aveugle aux dangers qui se profilent. Il continue de vivre dans l’opulence, convaincu que son éclat le protège.
La Fête qui Scella son Destin
Le 17 août 1661, Fouquet organise une réception grandiose à Vaux-le-Vicomte pour impressionner Louis XIV. Les jardins dessinés par Le Nôtre, les feux d’artifice, les ballets et les mets raffinés éblouissent les invités. Mais ce faste, loin de séduire le roi, attise sa méfiance. Louis XIV, déterminé à asseoir son pouvoir absolu, perçoit cette démonstration comme un défi à son autorité.
Quelques semaines plus tôt, Fouquet avait offert 20 000 pistoles à la favorite du roi, Mademoiselle de La Vallière, espérant s’attirer ses bonnes grâces. Ce geste, loin de le protéger, alimente les soupçons. Le roi, déjà convaincu par les rapports de Colbert, décide de passer à l’action.
Le 5 septembre 1661, à Nantes, Fouquet est arrêté par d’Artagnan, le célèbre mousquetaire. Dans une scène digne d’un roman, il est interpellé dans sa chaise à porteurs, abasourdi par une lettre de cachet signée par le roi. Ce moment marque la fin de son ascension et le début d’une chute brutale.
Un Procès et une Disgrâce
Le procès de Fouquet dure trois ans. Accusé de malversations financières et de crime de lèse-majesté, il se défend avec acharnement. Malgré les pressions, les juges hésitent à prononcer la peine de mort. Finalement, Fouquet est condamné à l’exil perpétuel. Mais Louis XIV, furieux de cette clémence, transforme la sentence en emprisonnement à vie dans la forteresse de Pignerol, dans les Alpes.
À Pignerol, loin des fastes de Vaux-le-Vicomte, Fouquet passe ses dernières années dans l’isolement. Son ambition, qui l’avait porté si haut, devient son tombeau. Pourtant, un homme reste fidèle à l’écureuil déchu : Jean de La Fontaine. Dans son poème Elégie aux Nymphes de Vaux, le fabuliste tente de plaider la cause de son ami, évoquant un homme détruit par « l’amour des grandeurs et du bruit ».
« Tout ce vain amour des grandeurs et du bruit ne le saurait quitter qu’après l’avoir détruit. »
Jean de La Fontaine
Les Leçons d’une Chute
L’histoire de Nicolas Fouquet et de sa devise Quo non ascendet est plus qu’un simple récit historique. Elle est une parabole sur les dangers de l’ambition démesurée et du défi au pouvoir. Louis XIV, en faisant de Fouquet un bouc émissaire, consolide sa monarchie absolue, envoyant un message clair : nul ne peut rivaliser avec le Roi-Soleil.
Que nous enseigne cette histoire aujourd’hui ? Voici quelques leçons clés :
- Ambition et prudence : Une ascension rapide doit être accompagnée de vigilance pour éviter les jalousies et les erreurs fatales.
- Le pouvoir absolu : Sous un régime autoritaire, toute tentative de briller trop fort peut être perçue comme une menace.
- La fidélité des amis : Même dans la disgrâce, des voix comme celle de La Fontaine rappellent l’importance de la loyauté.
La devise Quo non ascendet, si elle incarne l’élan vers les sommets, nous rappelle aussi que chaque pas vers le haut peut être un pas vers la chute. Fouquet, en voulant atteindre les étoiles, a oublié la fragilité des branches sur lesquelles il grimpait.
Un Héritage Culturel
Le château de Vaux-le-Vicomte, bien que lié à la chute de Fouquet, reste un joyau du patrimoine français. Ses jardins, ses fontaines et son architecture continuent d’émerveiller les visiteurs, rappelant l’ambition d’un homme qui voulait laisser une trace indélébile. Mais au-delà de la pierre, c’est l’histoire humaine de Fouquet qui fascine : un mélange de génie, d’audace et d’imprudence.
La devise Quo non ascendet résonne encore comme un avertissement. Dans un monde où l’ambition est célébrée, elle nous invite à réfléchir : jusqu’où peut-on monter sans risquer de tout perdre ? La réponse, peut-être, se trouve dans l’équilibre entre audace et humilité.
Un écureuil doré, un roi tout-puissant, une chute vertigineuse : l’histoire de Fouquet est celle d’un rêve brisé par l’éclat du soleil.
En explorant cette devise et son histoire, nous découvrons non seulement un pan fascinant de l’histoire de France, mais aussi une réflexion universelle sur les limites de l’ambition. Nicolas Fouquet, avec son écureuil bondissant, nous laisse une leçon : viser haut, oui, mais toujours avec prudence.