Imaginez une île paradisiaque où le soleil brille toute l’année, où les plages de sable doré s’étendent à perte de vue, mais où les habitants descendent dans la rue, pancartes à la main, pour crier leur ras-le-bol. Aux Canaries, ce scénario n’est pas une fiction. Dimanche dernier, des milliers de personnes ont manifesté dans les sept îles de l’archipel pour dénoncer les excès du tourisme de masse, un phénomène qui menace leur mode de vie et leur environnement. Ce mouvement, porté par la plateforme Canarias tiene un límite, révèle une tension croissante entre développement économique et préservation d’un territoire unique.
Une Île Sous Pression : Le Poids du Tourisme
Les Canaries, cet archipel situé au large des côtes africaines, accueillent chaque année des millions de visiteurs. En 2024, pas moins de 15,2 millions de touristes ont foulé leur sol, et les trois premiers mois de 2025 ont déjà enregistré 4,36 millions d’arrivées. Si ces chiffres font briller les yeux des investisseurs, ils pèsent lourd sur les épaules des 2,24 millions d’habitants. Le tourisme représente 36 % du PIB de l’archipel et emploie quatre habitants sur dix. Mais à quel prix ?
Les manifestants, réunis sous des slogans comme « Les Canaries ne sont pas à vendre », pointent du doigt un modèle économique qui privilégie les profits à court terme au détriment de la qualité de vie. L’explosion des loyers, la saturation des infrastructures et la dégradation de l’environnement sont au cœur de leurs préoccupations. Ce n’est pas la première fois que ces revendications résonnent : c’était la troisième manifestation en un an organisée par la plateforme citoyenne.
Les Revendications : Réguler pour Survivre
Les habitants ne rejettent pas le tourisme en bloc, mais ils exigent un changement radical dans sa gestion. Parmi les mesures phares réclamées, on trouve :
- Régulation des loyers pour contrer l’envolée des prix, qui rend le logement inabordable pour les locaux.
- Un gel des nouvelles constructions touristiques afin de limiter l’urbanisation galopante.
- Une meilleure protection de l’environnement, notamment des écosystèmes fragiles menacés par la surfréquentation.
Ces demandes ne sortent pas de nulle part. À Tenerife, l’île la plus peuplée, 7 000 personnes ont défilé. À Grande Canarie, Lanzarote et Fuerteventura, des milliers d’autres ont rejoint le mouvement, brandissant des pancartes aux messages percutants : « Les Canaries ne sont plus un paradis ». Ce cri d’alarme reflète un sentiment d’urgence face à un tourisme qui, selon les associations locales, profite surtout aux grands investisseurs.
« On ne peut pas continuer à sacrifier nos terres et nos vies pour des bénéfices qui ne nous reviennent pas. »
Un manifestant anonyme à Tenerife
Un Équilibre Économique Fragile
Le tourisme est une manne financière incontestable pour les Canaries, mais il creuse aussi des inégalités. Alors que l’Espagne, deuxième destination touristique mondiale derrière la France, célèbre des records d’affluence, les habitants des Canaries se sentent laissés pour compte. Les profits générés par les complexes hôteliers et les locations de vacances enrichissent souvent des entreprises extérieures, tandis que les locaux peinent à joindre les deux bouts.
Pour mieux comprendre l’impact économique, voici un aperçu des chiffres clés :
Indicateur | Chiffre |
---|---|
Visiteurs en 2024 | 15,2 millions |
Visiteurs Q1 2025 | 4,36 millions |
Poids du tourisme dans le PIB | 36 % |
Emplois liés au tourisme | 40 % de la population |
Ces données montrent l’ampleur de la dépendance économique au tourisme, mais aussi la nécessité de repenser ce modèle pour qu’il profite davantage aux habitants. Les manifestants estiment que les autorités locales, bien qu’informées de ces enjeux, tardent à agir.
L’Environnement, Victime Collaterale
Les Canaries ne sont pas seulement un hotspot touristique ; elles abritent une biodiversité exceptionnelle, avec des parcs naturels et des espèces endémiques. Pourtant, la surfréquentation menace ces trésors. Les plages surpeuplées, les déchets laissés par les visiteurs et les projets immobiliers envahissants mettent en péril des écosystèmes fragiles.
À Lanzarote, par exemple, les habitants dénoncent la multiplication des complexes touristiques qui consomment des ressources en eau, une denrée rare dans cet archipel volcanique. Les associations écologistes appellent à un tourisme durable, qui respecterait les limites naturelles de l’archipel. Mais pour l’instant, les projets de nouvelles infrastructures continuent de fleurir, alimentant la colère des manifestants.
« Nos îles ne peuvent pas accueillir indéfiniment des millions de touristes sans que cela détruise ce qui les rend uniques. »
Un militant écologiste à Grande Canarie
La Crise du Logement : Un Enjeu Central
L’un des problèmes les plus criants aux Canaries est l’explosion des loyers, alimentée par la multiplication des locations touristiques. À Tenerife, le prix des logements a grimpé en flèche, rendant l’accès à la propriété ou à la location presque impossible pour les jeunes et les familles modestes. Ce phénomène, souvent lié à des plateformes de location短期, pousse les habitants vers les périphéries ou les contraint à quitter l’île.
Les manifestants demandent une régulation stricte de ces pratiques, à l’image de ce qui a été mis en place dans d’autres destinations touristiques comme Barcelone ou Lisbonne. Une telle mesure pourrait freiner la spéculation immobilière et redonner un peu d’air aux habitants. Mais les autorités, conscientes de l’importance économique du tourisme, hésitent à prendre des décisions radicales.
Un Modèle à Réinventer
Face à cette crise, une question se pose : comment concilier tourisme et bien-être des habitants ? Les Canaries ne sont pas les premières à affronter ce dilemme. Des destinations comme Venise ou Bali ont elles aussi cherché à limiter les effets du surtourisme, avec des résultats mitigés. Aux Canaries, les manifestants appellent à un changement de paradigme, qui mettrait l’accent sur un tourisme de qualité plutôt que de quantité.
Exemples de solutions envisagées :
- Limitation du nombre de visiteurs par an.
- Taxes touristiques pour financer la préservation de l’environnement.
- Promotion d’un tourisme local et culturel, loin des resorts standardisés.
Ce type de mesures pourrait non seulement apaiser les tensions, mais aussi repositionner les Canaries comme une destination durable et authentique. Cependant, leur mise en œuvre demande du courage politique et une vision à long terme, deux éléments qui, pour l’instant, semblent manquer.
Les Canaries, Miroir d’un Problème Global
Le mouvement aux Canaries n’est pas un cas isolé. Partout dans le monde, des communautés locales se mobilisent contre les dérives du tourisme de masse. À Amsterdam, des restrictions sur les locations touristiques ont été instaurées. À Hawaï, des campagnes sensibilisent les visiteurs au respect de la culture locale. Ces exemples montrent qu’un autre tourisme est possible, mais il exige une volonté collective.
Aux Canaries, les habitants espèrent que leur voix sera enfin entendue. Leur combat dépasse les frontières de l’archipel : il pose la question de la durabilité dans un monde où le tourisme ne cesse de croître. Alors que l’Espagne s’apprête à battre de nouveaux records d’affluence, les Canaries pourraient devenir un laboratoire pour un tourisme plus respectueux, ou au contraire, un symbole des excès d’un modèle à bout de souffle.
Ce dimanche, les pancartes brandies dans les rues de Tenerife, Grande Canarie, Lanzarote et Fuerteventura ont envoyé un message clair : les Canaries ont atteint leurs limites. Reste à savoir si ce cri du cœur trouvera un écho, ou s’il sera noyé dans le fracas des vagues et des foules estivales.