En Turquie, la minorité kurde se retrouve une nouvelle fois dans le collimateur du pouvoir. Quelques mois à peine après la percée historique de l’opposition aux élections municipales, les autorités s’en prennent aux élus prokurdes, ravivant les tensions dans le sud-est du pays. Un nouveau chapitre dans le conflit kurde qui perdure depuis des décennies.
Kurdes: De la victoire électorale à la répression
Fin mars, les élections locales en Turquie avaient suscité l’espoir d’un apaisement, avec une nette progression des partis d’opposition, dont le HDP prokurde. De nombreuses villes du Sud-Est anatolien, à majorité kurde, avaient ainsi basculé. Une gifle pour le président Erdogan et son emprise sur le pays.
Mais à peine deux mois plus tard, le rêve a viré au cauchemar. Lundi 3 juin, le nouveau maire HDP de Hakkari, Mehmet Siddik Akis, était brutalement arrêté à l’aube. Aussitôt destitué et remplacé par un “kayyum”, un administrateur nommé par Ankara. La sentence est tombée comme un couperet quelques jours plus tard : 19 ans de prison pour “appartenance à une organisation terroriste”, en lien avec la guérilla du PKK.
Triste impression de déjà-vu !
déplore Mehdi Ozdemir, avocat kurde de Diyarbakir
Un scénario récurrent de “criminalisation” des élus kurdes qui rappelle les heures sombres des purges de 2016-2017. Des dizaines de maires avaient été révoqués et emprisonnés, le parti HDP décapité.
Le spectre des purges passées
L’histoire bégaie en Turquie, où l’éclaircie démocratique des municipales aura été de courte durée. Dès 2015, après l’échec des pourparlers de paix, Erdogan avait repris sa politique répressive anti-kurde :
- Arrestations massives d’élus et militants HDP
- Destitution des maires kurdes, remplacés par des administrateurs
- Emprisonnement des leaders du parti, dont Selahattin Demirtas
- Bombardements et couvre-feu dans les villes kurdes
Une reprise en main brutale qui avait fait des centaines de victimes civiles et jeté des milliers de personnes en prison. En 2019, près de 20 000 membres du HDP croupissaient derrière les barreaux.
La Turquie à la croisée des chemins
Aujourd’hui, le pays se retrouve à nouveau face à un choix crucial : celui de la paix ou de la confrontation. Les dernières arrestations d’élus kurdes sonnent comme un inquiétant retour en arrière.
Pourtant, la percée de l’opposition aux municipales laissait entrevoir une alternative démocratique. En s’alliant, le CHP (social-démocrate) et le HDP avaient réussi à reprendre des grandes villes comme Istanbul ou Ankara à l’AKP islamo-conservateur. Un espoir de changement, y compris pour la question kurde.
Nous voulons la fin des conflits et une solution politique et pacifique.
martelait le HDP dans sa campagne
Mais en s’attaquant à nouveau aux Kurdes, Erdogan joue la carte nationaliste et sécuritaire. Il espère ainsi remobiliser son électorat conservateur, sur fond de crise économique et de contestation sociale. Quitte à plonger le pays dans une spirale répressive sans fin.
La communauté internationale doit réagir
Face à ces dérives autoritaires, le silence complice de l’Europe et des États-Unis est assourdissant. Focalisés sur la crise syrienne ou la menace djihadiste, les Occidentaux ferment trop souvent les yeux sur la dérive d’Ankara, partenaire stratégique incontournable dans la région.
Pourtant, la paix en Turquie et la résolution de la question kurde sont des enjeux cruciaux pour la stabilité du Moyen-Orient. Sans pression internationale, Erdogan aura les mains libres pour poursuivre sa politique répressive, au mépris des droits humains et de l’État de droit.
Il est temps que les démocraties réagissent, en conditionnant leur soutien à des avancées concrètes : libération des prisonniers politiques, retour des élus légitimes, reprise du processus de paix. Sinon, la spirale du conflit kurde risque d’emporter la Turquie et la région dans une instabilité chronique aux conséquences désastreuses.