Imaginez un monde où raconter la vérité peut vous coûter la vie. Pas dans un film, pas dans un roman dystopique, mais aujourd’hui, en 2025. Cette année, 67 journalistes ont été tués parce qu’ils faisaient leur métier. Presque la moitié d’entre eux sont morts dans la bande de Gaza. Le chiffre est froid, mais derrière chaque nom se cache une histoire brutalement interrompue.
Un bilan 2025 qui fait froid dans le dos
Après une année 2023 anormalement « calme » avec 49 victimes, le compteur est reparti à la hausse. 66 journalistes tués en 2024, 67 cette année. La raison principale ? Le conflit à Gaza, déclenché après les attaques du Hamas le 7 octobre 2023, et la réponse militaire israélienne qui n’a cessé de s’intensifier.
L’organisation de défense de la liberté de la presse est formelle : « les journalistes ne meurent pas, ils sont tués ». Une phrase choc qui résume l’effroyable réalité : ces morts ne sont pas des dommages collatéraux.
Gaza, cimetière des reporters
Sur les 67 journalistes tués entre le 1er décembre 2024 et le 1er décembre 2025, au moins 29 l’ont été à Gaza alors qu’ils exerçaient leur profession. Si l’on ajoute ceux tués hors service depuis octobre 2023, le total dépasse les 220 victimes palestiniennes dans le secteur des médias.
Ces chiffres font de l’armée israélienne, selon l’ONG, le pire ennemi des journalistes cette année. Des accusations sont graves : tirs délibérés, frappes sur des véhicules clairement identifiés « PRESS », assassinats de reporters chez eux avec leur famille.
« Il ne s’agit pas de balles perdues. C’est véritablement du ciblage de journalistes parce qu’ils informent le monde de ce qui se passe sur ces terrains-là. »
Anne Bocandé, directrice éditoriale de RSF
L’armée israélienne répond invariablement qu’elle vise des membres du Hamas se faisant passer pour des journalistes. Dans le cas du correspondant d’Al-Jazeera Anas al-Sharif, tué avec cinq confrères en août, elle avait même revendiqué la frappe en le qualifiant de « terroriste ». Aucune preuve publique n’a jamais été présentée.
Un phénomène mondial d’impunité
Gaza concentre l’attention, mais le danger est partout. Le Mexique vit sa pire année depuis longtemps avec neuf journalistes assassinés, souvent après avoir dénoncé les liens entre crime organisé et politique locale. Malgré les promesses de la nouvelle présidente Claudia Sheinbaum, rien ne change.
En Ukraine, trois reporters ont perdu la vie, dont le photoreporter français Antoni Lallican. Au Soudan, quatre journalistes ont été tués dans un conflit oublié des médias.
Les zones les plus dangereuses en 2025
- Gaza → au moins 29 journalistes tués en mission
- Mexique → 9 journalistes assassinés
- Soudan → 4 morts
- Ukraine → 3 morts, dont un Français
Derrière les barreaux : 503 journalistes détenus
Être tué n’est pas le seul risque. À ce jour, 503 journalistes croupissent en prison dans 47 pays. La Chine arrive en tête avec 121 détenus, suivie par la Russie (48) et la Birmanie (47).
Six jours avant la publication du bilan, le journaliste français Christophe Gleizes a été condamné en appel à sept ans de prison en Algérie pour « apologie du terrorisme ». Un exemple parmi tant d’autres d’une répression qui ne faiblit pas.
Plus inquiétant encore : 135 journalistes sont portés disparus, certains depuis plus de trente ans. Vingt autres sont retenus en otage, principalement en Syrie et au Yémen.
Quand informer devient un crime
Le constat est amer. Dans de nombreux pays, le simple fait de rapporter des faits dérangeants suffit à vous faire passer pour un ennemi de l’État ou une cible à abattre.
La stratégie est rodée : discréditer d’abord (« ce ne sont pas de vrais journalistes »), puis justifier la violence a posteriori. Une mécanique qui fonctionne à Gaza comme à Mexico, à Moscou comme à Pékin.
« Voilà où mène la haine des journalistes, voilà où mène l’impunité. »
Anne Bocandé
Car le vrai scandale n’est pas seulement le nombre de morts. C’est l’absence totale de conséquences. Rarement une enquête aboutit. Encore plus rarement un responsable est jugé.
Un appel désespéré à la communauté internationale
Face à cette hécatombe, l’ONG lance un cri d’alarme : les gouvernements doivent se réinvestir dans la protection des journalistes au lieu de les transformer en cibles légitimes.
Les conventions de Genève sont claires : les journalistes en zone de conflit doivent être traités comme des civils. Pourtant, gilets pare-balles marqués PRESS et casques bleus n’offrent plus aucune protection à Gaza.
Le silence assourdissant de nombreux États face à ces exactions pose question. Quand un reporter est abattu après avoir été qualifié de « terroriste » sans preuve, qui ose encore demander des comptes ?
Vers un avenir encore plus sombre ?
Les chiffres de l’Unesco sont encore plus élevés (91 morts en 2025), rappelant que la méthodologie change d’une organisation à l’autre. Mais peu importe le compteur exact : la tendance est terrifiante.
Tant que l’impunité régnera, les journalistes continueront de payer le prix fort pour nous permettre, à nous, de savoir. Et chaque mort est une part d’obscurité supplémentaire jetée sur le monde.
Au moment où vous lisez ces lignes, un reporter quelque part risque sa vie pour documenter une réalité que d’autres préféreraient cacher. La question n’est plus de savoir si nous allons agir. mais si nous allons le faire avant qu’il ne soit trop tard.
Ils s’appelaient Anas al-Sharif, Antoni Lallican, Shireen Abu Akleh avant eux, et des dizaines d’autres dont les noms ne feront jamais la une.
Ils sont morts pour que nous sachions.
Le moins que nous puissions faire, c’est ne jamais l’oublier.









