Imaginez découvrir que l’institution censée protéger les plus faibles a, pendant des décennies, couvert certains de ses membres coupables des pires crimes contre des enfants. Cette réalité, aussi insoutenable soit-elle, continue de rattraper l’Église catholique aux États-Unis. Et cette semaine, l’archidiocèse de New York a franchi un cap historique.
Un fonds colossal de 300 millions de dollars pour les victimes
Lundi, le cardinal Timothy Dolan, archevêque de New York, a annoncé la création d’un fonds destiné à indemniser les personnes ayant subi des abus sexuels de la part de membres du clergé. L’objectif affiché : dépasser les 300 millions de dollars pour répondre au plus grand nombre possible de plaintes jugées fondées.
Dans une lettre ouverte aux fidèles, le cardinal a reconnu que ces abus, commis il y a parfois plusieurs décennies, ont « couvert notre Église de honte ». Il a présenté ses excuses une nouvelle fois et insisté sur la volonté de « régler rapidement toutes les plaintes fondées » tout en offrant « le montant maximal d’indemnisation ».
« Notre objectif a toujours été, et demeure, de fournir le montant maximal d’indemnisation au plus grand nombre de victimes et de les aider à guérir et à aller de l’avant. »
Cardinal Timothy Dolan
Près de 1 300 plaintes déposées rien que dans l’État de New York
Depuis l’ouverture exceptionnelle des délais de prescription grâce à la Child Victims Act en 2019, les victimes new-yorkaises ont pu porter plainte des décennies après les faits. Résultat : environ 1 300 personnes ont engagé des procédures contre l’archidiocèse.
Ce chiffre, déjà vertigineux, ne représente qu’une partie des victimes potentielles. Beaucoup n’ont jamais osé parler. D’autres sont décédées. Ceux qui témoignent aujourd’hui décrivent des vies brisées par des prêtres qu’ils considéraient comme des figures sacrées.
Des sacrifices financiers jamais vus dans l’histoire de l’archidiocèse
Pour réunir une telle somme, le cardinal Dolan a pris des « décisions financières très difficiles ». Parmi elles :
- Réduction de 10 % du budget de fonctionnement
- Licenciements au sein de l’archidiocèse
- Vente d’actifs immobiliers majeurs, dont l’ancien siège sur la Première Avenue à Manhattan (déjà cédé pour plus de 100 millions de dollars)
Ces mesures touchent directement les employés actuels et les œuvres caritatives dépendant de l’archidiocèse. Un choix douloureux, mais présenté comme inévitable pour « faire justice » aux victimes.
Un médiateur expérimenté pour gérer les dossiers
Afin d’accélérer le processus, l’archidiocèse a nommé Daniel Buckley, magistrat à la retraite, comme médiateur indépendant. Ce dernier s’était déjà illustré à Los Angeles en 2024 en réglant plus de 1 000 dossiers pour un total de 880 millions de dollars.
Cette nomination vise à éviter des années de batailles judiciaires coûteuses et traumatisantes pour les victimes, tout en garantissant une certaine transparence dans l’attribution des indemnisations.
Un mouvement national qui s’amplifie
New York n’est pas un cas isolé. La même semaine, une juge fédérale a validé un accord de 230 millions de dollars entre l’archidiocèse de La Nouvelle-Orléans et plusieurs centaines de victimes.
Depuis les révélations du Boston Globe en 2002 – immortalisées par le film Spotlight –, plus de vingt diocèses américains ont déposé le bilan ou créé des fonds similaires. Le coût total des indemnisations dépasse déjà les 4 milliards de dollars à l’échelle nationale.
Des sanctions ecclésiastiques toujours plus sévères au Vatican
En parallèle des indemnisations financières, Rome durcit le ton. En 2019, le pape François a défroqué l’ancien archevêque de Washington, reconnu coupable d’agression sexuelle sur mineur et de comportements inappropriés envers des séminaristes.
Un rapport du Vatican publié en 2020 a également révélé comment, dans les années 1980-1990, de nombreuses alertes avaient été ignorées par la hiérarchie. Ces aveux officiels ont renforcé la détermination des victimes à obtenir justice, même des décennies plus tard.
Que signifie vraiment cette indemnisation pour les victimes ?
L’argent ne effacera jamais la souffrance. Beaucoup de victimes répètent qu’elles auraient préféré que ces abus n’aient jamais eu lieu, ou qu’on les ait crus dès le premier signalement.
Cependant, ces indemnisations massives envoient un message clair : le silence et l’impunité ne sont plus tolérés. Elles permettent aussi à certaines victimes de payer des thérapies longues et coûteuses, ou simplement de retrouver un peu de dignité après des vies marquées par la honte et la peur.
Pour l’Église catholique américaine, c’est une purge financière et morale sans précédent. Certains craignent que ces sommes colossales ne fragilisent durablement les œuvres sociales et éducatives. D’autres estiment que c’est le prix minimum à payer pour tenter de regagner la confiance perdue.
Vers une reconnaissance mondiale du problème ?
Si les États-Unis ouvrent la voie avec ces méga-indemnisations, d’autres pays suivent. En France, la commission Sauvé a estimé à plus de 330 000 le nombre de victimes depuis 1950. En Allemagne, en Australie, en Irlande, les rapports se multiplient et les fonds d’indemnisation se mettent en place.
Le fonds new-yorkais de 300 millions pourrait donc faire figure de modèle… ou d’avertissement pour les diocèses du monde entier.
Une chose est certaine : vingt-trois ans après les premières révélations à Boston, la parole des victimes continue de résonner. Et cette fois, elle coûte très cher à l’institution qui les a trop longtemps ignorées.
À retenir : L’archidiocèse de New York mobilise plus de 300 millions de dollars, réduit son budget, licencie et vend ses biens pour indemniser environ 1 300 victimes d’abus sexuels commis par des membres du clergé. Un tournant historique qui illustre à la fois la gravité de la crise et la volonté – tardive – de réparer.
Le chemin de la guérison collective sera long. Mais pour la première fois, les victimes ne sont plus seules face à leur passé.









