Ils arrivent par milliers chaque jour, épuisés, effrayés, parfois blessés. En une semaine seulement, plus de trente mille Congolais ont franché la frontière pour trouver refuge au Burundi. Ce chiffre, aussi vertigineux qu’il puisse paraître, est confirmé à la fois par les autorités locales et par les agences onusiennes. Et derrière ces nombres se cachent des familles entières qui fuient la guerre qui, une fois encore, frappe l’est de la République démocratique du Congo.
Uvira, la prochaine cible stratégique du M23
Sur la rive nord du lac Tanganyika, la ville d’Uvira représente bien plus qu’une agglomération de plusieurs centaines de milliers d’habitants. Elle est la dernière grande cité du Sud-Kivu qui échappe encore au contrôle du mouvement rebelle M23. Sa position géographique en fait un verrou : face à elle, de l’autre côté du lac, se trouve Bujumbura, la capitale économique du Burundi. Perdre Uvira signifierait ouvrir une porte directe vers le petit pays voisin.
Les informations recueillies sur le terrain sont alarmantes. En l’espace de vingt-quatre heures, les forces du M23, appuyées selon de nombreux experts par plusieurs milliers de militaires rwandais, ont réduit la distance qui les sépare de la ville. Elles se trouvaient à une trentaine de kilomètres il y a deux jours ; elles n’en sont plus qu’à une quinzaine. Cette progression rapide a déclenché un mouvement de panique massif parmi la population civile.
Un exode sans précédent en si peu de temps
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Plus de huit mille personnes franchissent la frontière chaque jour depuis le début de cette nouvelle vague. En sept jours à peine, le cap des trente mille réfugiés a été dépassé. Et ce n’est probablement qu’un début. Les témoignages convergent : beaucoup préfèrent tout abandonner plutôt que d’attendre l’arrivée des combattants.
Des mères portent leurs enfants sur le dos pendant des kilomètres. Des vieillards marchent avec difficulté, soutenus par des plus jeunes. Les pirogues traversent le lac Tanganyika à la nuit tombée pour échapper aux patrouilles. Toute la journée, la frontière ressemble à une longue file humaine qui avance, inlassable, vers un espoir fragile.
« Ces réfugiés congolais manquent de tout. On n’a pas de quoi les nourrir, les soigner, on manque de tout. »
Un responsable administratif burundais, sous couvert d’anonymat
Le Burundi déjà au bord de la rupture
Le Burundi n’était déjà pas préparé à un tel afflux. Au début de l’année, des dizaines de milliers de personnes avaient déjà fui les violences dans l’est congolais. Les autorités parlaient alors du plus important mouvement de population en vingt-cinq ans. Aujourd’hui, la situation est pire. Les camps sont saturés, les stocks de nourriture s’épuisent à vue d’œil, les structures médicales tournent à plein régime sans pouvoir suivre.
Les financements internationaux, eux, ont drastiquement baissé ces dernières années. Les appels à l’aide se multiplient, mais les réponses restent timides. Sur place, on craint une crise humanitaire d’ampleur si la communauté internationale ne réagit pas rapidement.
Une présence militaire burundaise massive en RDC
Le Burundi n’est pas seulement un pays d’accueil. Depuis 2023, il déploie une force importante sur le sol congolais. Initialement dix mille hommes, le contingent a quasiment doublé pour atteindre aujourd’hui environ dix-huit mille soldats. Officiellement, cette présence vise à combattre différents groupes armés. Mais dans le contexte actuel, elle complique davantage la situation.
Ces derniers jours, des échanges de tirs ont eu lieu de part et d’autre de la frontière. Des projectiles sont tombés sur le territoire burundais. Bujumbura a publiquement dénoncé une « attitude belliqueuse » et des attaques directes. Des centaines de militaires congolais et burundais, débordés ou en déroute, ont eux-mêmes cherché refuge au Burundi.
L’accord de paix de Washington déjà remis en question
Jeudi dernier, un accord dit « pour la paix » était signé à Washington entre Kinshasa et Kigali, sous l’égide des États-Unis. Beaucoup y voyaient un espoir, même fragile, de désescalade. Quelques jours plus tard, l’offensive vers Uvira vient brutalement contredire cet optimisme. Les combats font rage, les populations fuient, et les tensions régionales atteignent un nouveau pic.
Cet accord, qui devait poser les bases d’un retrait progressif des forces étrangères et d’un dialogue politique, apparaît déjà comme un échec cuisant. Sur le terrain, rien n’a changé. Au contraire, la situation semble s’emballer dangereusement.
Pourquoi Uvira change tout
La prise d’Uvira par le M23 ne serait pas une simple avancée territoriale. Elle couperait totalement le Burundi de la RDC par la voie terrestre la plus directe. Elle donnerait aussi aux rebelles un accès stratégique au lac Tanganyika, voie essentielle pour le commerce et les déplacements. Enfin, elle placerait des dizaines de milliers de civils en danger immédiat.
Pour le Burundi, déjà fragilisé économiquement et politiquement, cela représenterait une menace existentielle. Le pays, qui accueille déjà plusieurs centaines de milliers de réfugiés congolais depuis des années, se retrouverait en première ligne d’un conflit qu’il ne contrôle pas.
Que se passe-t-il maintenant ?
La communauté internationale observe, souvent impuissante. Les appels à un cessez-le-feu se multiplient, mais ils restent lettre morte. Sur le terrain, la seule réalité tangible, ce sont ces dizaines de milliers de personnes qui marchent, jour et nuit, pour sauver leur vie.
Demain, Uvira pourrait tomber. Ou résister encore quelques jours. Dans les deux cas, la crise humanitaire est déjà là, brutale et massive. Et elle ne fait, hélas, que commencer.
Les images que nous ne verrons peut-être jamais dans les grands médias sont pourtant là : des enfants qui dorment à même le sol à la frontière, des mères qui pleurent en silence, des vieux qui n’ont plus la force de porter leurs maigres bagages. Trente mille en une semaine. Et probablement bien plus dans les jours qui viennent.
La guerre, dans l’est du Congo, a encore frappé. Et comme toujours, ce sont les civils qui paient le prix le plus lourd.









