Imaginez un instant que votre opérateur mobile décide soudainement de posséder l’autoroute sur laquelle circulent toutes ses données. C’est exactement ce qui vient de se produire en Allemagne avec l’annonce choc du rachat de Versatel par 1&1 pour 1,3 milliard d’euros. Un mouvement qui ne fait pas seulement parler les spécialistes : il redessine complètement la carte des télécommunications outre-Rhin.
Pourquoi ce rachat change tout pour le marché allemand
Depuis des années, l’Allemagne traîne une réputation peu flatteuse en matière de haut débit fixe. Pendant que la France, l’Espagne ou la Suède filaient la fibre à tour de bras, nos voisins accumulaient les retards. Résultat ? Un couverture fibre parmi les plus faibles d’Europe de l’Ouest. Et pourtant, quelque chose est en train de bouger très vite.
Le deal signé le 4 décembre 2025 entre 1&1 et sa maison-mère United Internet marque un tournant. En internalisant Versatel, 1&1 ne se contente plus d’être le « quatrième opérateur mobile » qui dérange les trois historiques. Il devient un acteur intégré verticalement, capable de maîtriser toute la chaîne : du réseau mobile Open RAN qu’il déploie depuis 2021 jusqu’aux artères de fibre qui transportent les données vers ses antennes.
Versatel, la pépite fibre que tout le monde voulait
Créée en 1995, Versatel a connu tous les cycles du secteur télécom. Rachetée puis revendue plusieurs fois, elle tombe dans l’escarcelle de United Internet en 2014. Depuis cette date, l’entreprise a littéralement métamorphosé son réseau.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 37 000 kilomètres de fibre en 2014, contre 67 000 kilomètres aujourd’hui, déployés dans plus de 350 villes. Plus de 27 700 sites raccordés, des institutions publiques aux grandes entreprises, en passant par les opérateurs concurrents eux-mêmes qui louaient jusqu’ici cette infrastructure.
En clair ? Versatel était devenu l’un des plus gros réseaux neutres d’Allemagne, un peu à l’image de ce que représente Covage ou Altitude Infrastructure en France. Sauf qu’aujourd’hui, ce réseau ne sera plus neutre très longtemps.
Évolution du réseau Versatel depuis 2014 :
- 2014 → 37 000 km dans 226 villes
- 2025 → 67 000 km dans 350 villes
- Plus de 27 700 points de présence actifs
- Clientèle : collectivités, entreprises et… opérateurs concurrents
Une opération financière maligne
Le prix annoncé de 1,3 milliard d’euros peut sembler élevé. Pourtant, la structure de l’opération est particulièrement astucieuse.
Le prêt de 950 millions d’euros qui pesait sur Versatel reste bien dans la filiale, mais bénéficie désormais de la garantie de 1&1. Résultat : aucun décaissement immédiat pour l’acheteur. Une clause d’ajustement de prix jusqu’à 300 millions d’euros est prévue entre 2027 et 2029, avec règlement définitif en 2030. Autrement dit, 1&1 paie une partie du prix… avec les bénéfices futurs de Versatel.
C’est ce qu’on appelle un earn-out inversé particulièrement favorable à l’acheteur. United Internet, maison-mère des deux entités, sort gagnant en monétisant un actif tout en conservant une partie du potentiel futur.
« Cette transaction nous permet de consolider notre position d’opérateur intégré et d’accélérer le développement de nos infrastructures propres. »
Extrait du communiqué officiel 1&1
Open RAN + fibre propriétaire = combinaison explosive
Depuis 2021, 1&1 construit le premier réseau mobile Open RAN à grande échelle en Europe. Fin 2025, l’opérateur revendique déjà plus de 12 millions de clients migrés sur son réseau propre. Un exploit technique qui a nécessité des investissements colossaux.
Mais un réseau mobile, aussi moderne soit-il, a besoin de backhaul. Et jusqu’à présent, 1&1 dépendait en grande partie… de Deutsche Telekom pour transporter ses données mobiles vers le cœur de réseau. Une situation inconfortable quand on veut devenir le véritable quatrième opérateur indépendant.
Avec Versatel, c’est fini. 1&1 contrôle désormais ses propres artères de fibre. Il peut optimiser la latence, augmenter les débits, et surtout… ne plus payer ses concurrents pour transporter ses données.
Ce que ça change pour le consommateur allemand
À court terme ? Probablement pas grand-chose sur la facture. Mais à moyen terme, cette intégration verticale pourrait permettre à 1&1 de proposer des offres fixes + mobiles particulièrement agressives.
On peut imaginer des forfaits 5G illimités couplés à une box fibre à des prix défiant toute concurrence, comme l’opérateur le fait déjà avec ses offres mobiles low-cost. La maîtrise de l’infrastructure fixe change complètement la donne sur les marges.
Et pour les entreprises ? L’offre B2B de Versatel (connexions dédiées, MPLS, interconnexion data centers) combinée au réseau mobile 1&1 pourrait donner naissance à des solutions de connectivité privée 5G + fibre très compétitives.
Et les concurrents dans tout ça ?
Deutsche Telekom, Vodafone et Telefonica Germany risquent de grincer des dents. Ils utilisaient tous, à des degrés divers, le réseau Versatel pour leurs propres besoins de transport ou pour desservir certains clients entreprise.
Maintenant que ce réseau appartient à leur concurrent direct, deux scénarios possibles : soit 1&1 maintient l’ouverture (peu probable à long terme), soit les trois historiques vont devoir accélérer encore leurs propres déploiements fibre… ou payer plus cher.
Dans les deux cas, c’est une bonne nouvelle pour l’accélération du déploiement fibre en Allemagne.
Un modèle qui pourrait inspirer ailleurs en Europe
Ce que vient de faire 1&1 ressemble furieusement à ce qu’a réalisé Free en France il y a quinze ans : devenir opérateur mobile pour forcer la concurrence, puis internaliser massivement la fibre pour écraser les coûts.
En Espagne, MásMóvil a suivi une trajectoire comparable. En Italie, Iliad négocie actuellement des accords fibre. Partout en Europe, les opérateurs « challengers » cherchent à répliquer ce modèle d’intégration verticale.
Le rachat de Versatel pourrait bien devenir le cas d’école du prochain cycle d’investissement télécom en Europe.
Ce 4 décembre 2025, 1&1 ne s’est pas contenté d’acheter une entreprise. Il a pris le contrôle de son destin infrastructurel. Et dans les télécoms, celui qui maîtrise la fibre et les antennes maîtrise aussi l’avenir. La suite promet d’être passionnante.









